« La hausse des prix des gros bovins est vertigineuse, et ça n’est pas fini »
Depuis plusieurs mois, les cotations des vaches bouchères sont au beau fixe. Pour notre expert marché, Laurent Chupin, aucun nuage ne se profile à l’horizon - à moins que des bovins sud-américains ne traversent l’Atlantique.
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« La hausse des prix du gros bovin est déjà vertigineuse, et tout indique que ça n’est pas terminé », augure Laurent Chupin directeur ActiOuest, une entreprise spécialisée dans l’analyse des marchés agricoles. Depuis le début de l’année, les réformes laitières progressent d’environ 10 centimes par semaine. « Elles devraient atterrir doucement autour de 6 € pour la fin du mois », s’avance l’expert. Du côté des bovins viande, le ciel est au beau fixe. Le prix de la Charolaise U a gagné plus de 70 centimes depuis janvier, pour atteindre les 6,20 € au 16 mai à Chôlet. « Il y a de l’herbe, les vaches sont en prairie. Rien ne presse à vendre ».
Mais jusqu’où pourra monter le cours du gros bovin ? À ce sujet, Laurent Chupin ne manque pas d’optimisme. « Avant de baisser, il faudrait déjà que le cours se stabilise, et ça n’est pas à l’ordre du jour ». Si les cotations peuvent laisser les éleveurs incrédules, l’expert l’affirme, le manque d’offre est tel qu’il porte les prix. « On disait déjà il y a un an que ça ne pouvait pas continuer comme ça. Et pourtant, les prix ne sont jamais redescendus ».
Les Tendances de l’Institut de l’élevage confirment la baisse des volumes disponibles à l’abattage. « Au 1er semestre 2025, la production française de viande de gros bovins a totalisé 278 000 téc, soit — 3,9 % par rapport au 1er trimestre 2024 ». Malgré un sursaut en avril, avec une hausse des abattages à l’approche de Pâques, la baisse du cheptel n’offre pas de perspectives de volumes supplémentaires.
Les marchés étrangers ne donnent pas non plus de raison de voir les cours baisser. « Avant, on pouvait aller chercher chez nos voisins de la viande moins chère. Aujourd’hui, les échanges sont essentiellement motivés par des questions d’équilibre matière ». En avril, la cotation de la vache R irlandaise a dépassé les 7 €/ kg carcasse sur fond de mise à l’herbe, et le prix des laitières allemandes et polonaises suit le cours des réformes françaises.
C’est l’attitude du consommateur qui déterminera le prix plafond
À long terme, les prix finiront par plafonner. Mais impossible pour l’analyste de dire à quel niveau. « C’est l’attitude du consommateur qui déterminera le seuil ». En magasin, les hausses sont moins marquées que dans les fermes. « Le cours de la viande a presque pris 20 % en un an. Le prix du steak haché en rayon n’a pas suivi. Pour l’instant, la filière fait tampon, mais jusqu’à quand ? » Des hausses en magasin semblent inévitables dans les mois à venir. « Il va falloir s’organiser avec des nouveaux niveaux de prix. Il y a une tranche de la population qui ne pourra peut-être plus manger de viande bovine comme avant ».
UE-Mercosur : la crainte d’un choc concurrentiel
« La seule chose qui pourrait apporter une bouffée d’oxygène au marché, c’est l’importation de viande étrangère », tempère l’analyste. L’ombre de l’accord UE-Mercosur plane toujours sur la filière. Dans un contexte de décapitalisation européenne, il n’y a qu’outre-atlantique que les acheteurs peuvent trouver de la disponibilité. « Les volumes engagés dans les accords sont faibles, mais ce qu’on importera, ce sera du catégoriel », insiste Laurent Chupin. Faire venir de l’aloyau d’Amérique du Sud, c’est déstabiliser l’équilibre matière européen, et donc faire baisser les prix. « J’ai bien peur que cela finisse par arriver… »
La hausse des prix met les industriels à l’épreuve
L’envolée du prix de la viande n’est pas sans conséquences sur l’appareil industriel français. « Nous sommes en surcapacité d’abattage par rapport à la taille du cheptel », constate Laurent Chupin. Entre tension sur les trésoreries et chaînes d’abattages utilisées à sous régime, la hausse des cours va faire mal à certains acteurs. « L’aval a vécu longtemps sur une offre pléthorique. C’est fini. » Dans ce contexte, les regards se tournent vers les structures intermédiaires. « Des groupes comme Leclerc ou Intermarché ont leurs propres abattoirs et peuvent répercuter les prix en temps réel. Pour les autres, il faut réussir à faire passer des hausses aux clients ». Les cours élevés pourraient accélérer la restructuration de la filière, avec toutes les conséquences sociales que cela implique. « Lorsqu’on ferme un abattoir, il y a de l’humain derrière. Ça impacte l’emploi, l’organisation de la collecte… »
Mais l’analyste tempère. « Du côté des éleveurs, on reste sur une période faste ». Est-ce pour autant de nature à redonner confiance en la production allaitante ? Pour l’expert, « l’érosion de l’élevage va se poursuivre ». Tout simplement pour des raisons démographiques. La hausse des cours pourra tout de même motiver certains à monter en nombre de têtes, « mais il ne faut pas s’attendre à un miracle ».
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